Radiologie, la financiarisation de tous les dangers :
prévenir les risques pour les radiologues et les patients
Communiqué de l’Académie nationale de médecine (*)
27 juin 2022
Les radiologues du secteur libéral, avec leurs plateaux techniques d’imagerie médicale, font actuellement l’objet de propositions massives d’acquisition par des investisseurs ; cela, après que cliniques privées, EHPAD, plateformes de biologie et, plus récemment, maisons médicales de soins primaires ont été largement acquis par des groupes financiers relevant de fonds d’investissements. Appuyées sur l’effondrement de la démographie des radiologues, ces offres financières attractives masquent mal plusieurs risques pour les professionnels et les patients.
Le premier risque tient à l’absence de transparence du montage de nombre de sociétés d’exercice libéral qui se portent acquéreur des plateformes professionnelles avec, pour conséquence, le fait que les investisseurs n’apparaissent pas dans le capital de ces sociétés auxquelles les professionnels de santé vont se lier par contrat. Il tient aussi à la double opacité des contrats proposés :
- d’une part, les professionnels exerçant dans ces sociétés n’ont ni la maîtrise de la gouvernance et de la gestion, ni le contrôle des droits financiers,
- d’autre part, les Conseils Départementaux de l’Ordre des Médecins (CDOM) donnent leur avis sur les statuts des sociétés, mais pas sur les contrats connexes et complexes conclus par ailleurs et souvent non communiqués. Par un mécanisme d’emboitement de structures, ces divers autres contrats et pactes d’associés signés par les professionnels lient ceux-ci à des sociétés « de prestations de services » (filiales, holdings) qui, elles-mêmes, louent les autorisations des Agences régionales de santé, les locaux, le matériel ou le personnel.
Un deuxième risque tient aux contrats d’exercice, souvent imposés entre les médecins et les sociétés, les assujettissant à un arsenal de clauses sur les modalités d’exercice, à des obligations (itinérance sur des sites distincts, durée obligatoire d’exercice au sein de la société pour percevoir le solde du prix de cession, gardes et astreintes, plateformes imposées d’exercice, exclusivités d’exercice dans le ou les établissements choisis par le groupe, sanctions si les objectifs quantifiés ne sont pas atteints, nombre et types d’examens ou de vacations), voire à des limitations ou interdictions de communication.
(*) Communiqué de la Plateforme de Communication Rapide de l’Académie validé par les membres du Conseil d’administration le 24 juin 2022.
Un troisième risque concerne les professionnels, mais aussi les patients. Ces contrats, à multiples étages sur le fond et la forme, induisent une dérèglementation professionnelle avec des risques avérés de perte d’autonomie décisionnelle, et d’orientation de l’activité vers des examens rentables, simples et modélisés aux dépens de l’urgence. Ils peuvent porter atteinte au libre choix des patients du fait de la signature de clauses d’exclusivité entre la société et certaines cliniques privées ou plateformes de téléradiologie (y compris à l’étranger). Ce risque compromet l’indépendance des professionnels, pourtant garantie par l’article R. 4127-5 du code de la Santé Publique. Il peut porter grandement atteinte à la liberté de choix du patient dans son accès à un spécialiste conseillé par son médecin, notamment en radiologie interventionnelle. Il peut enfin affecter la propriété même des données des patients.
L’Académie nationale de médecine :
- Demande que le principe d’indépendance des professionnels de soins soit inclus, en tant que principe déontologique fondamental, dans l’article L 162–2 du code de la Sécurité Sociale ;
- Incite le Conseil National de l’Ordre des médecins à alerter les CDOM sur les risques éthiques et déontologiques des contrats imposés aux praticiens associés des sociétés d’exercice libéral, afin qu’ils exigent la communication de tous les contrats et pas seulement les statuts et règlements intérieurs des Sociétés ;
- Propose que les contrats d’exclusivité des praticiens dans les cliniques privées soient encadrés afin de prévenir les dérives liées aux clauses abusives d’exclusivité d’exercice qui dénaturent l’exercice et l’indépendance des professionnels, le libre choix par un médecin de son correspondant dans une autre spécialité et, par conséquence, la liberté de choix des patients ;
- Appelle au remplacement de la procédure actuelle d’autorisation d’équipements lourds par une autorisation d’activités de soins en imagerie, à l’instar de celles de la radiologie interventionnelle neurologique, cardiaque et de la médecine nucléaire. Cette autorisation d’activité, soumise à des procédures d’accréditation/certification avec experts-visiteurs, doit viser à évaluer et à préserver la qualité des conditions de l’exercice des radiologues, et celle de l’exécution et du rendu des examens en s’appuyant, entre autres, sur la couverture des besoins des patients et sur leur retour d’expérience ;
- Alerte sur la responsabilité juridique dans le domaine de la téléradiologie et sur la nécessité de clarifier la question de la propriété des données massives d’imagerie de patients, possiblement interprétées, stockées et exploitées à l’étranger par intelligence artificielle, en particulier dans le cadre de réseaux de téléimagerie. En dépit du financement des examens par les fonds publics de l’Assurance Maladie, ces données personnelles sensibles, car diagnostiques et thérapeutiques, échappent en effet à tout contrôle.