Un rapport de l’IGAS et de l’IGF propose de réduire leur rôle à de simples techniciens, de geler leurs équipements plus d’une décennie et de restreindre drastiquement leurs ressources. Publié en juillet, ce texte vise des économies rapides au détriment de l’accès aux soins. En niant que l’imagerie est un acte médical, il menace dépistages, diagnostics et innovations. Par Jean-Philippe Masson, médecin radiologue libéral (*)

Dr. Jean-Philippe Masson

Dr. Jean-Philippe Masson

On ne soigne pas sans voir. Et on ne voit pas sans radiologues.

Chaque jour, les médecins radiologues identifient les cancers, détectent les AVC, vérifient la bonne évolution d’un traitement, posent un diagnostic sans lequel rien ne commence. Pourtant, un rapport récemment publié par l’IGAS et l’IGF propose, ni plus ni moins, de reléguer ces médecins au rang de techniciens. De les sortir de la convention médicale. De figer leur équipement pendant plus d’une décennie. De réduire drastiquement leurs ressources. En d’autres termes : de casser la radiologie.

Ce rapport, commandé en juillet 2024 par deux ministres d’un ancien gouvernement, finalisé en mai 2025, mais publié uniquement en juillet, ne cherche pas à améliorer l’accès aux soins. Il cherche à faire des économies, vite et sans nuances. Quitte à accumuler les contre-vérités et les propositions absurdes.

 

Une médecine sans radiologie ?

La mesure la plus sidérante reste sans doute celle qui considère que les actes de radiologie ne sont pas des actes de soins. Faut-il vraiment rappeler que sans imagerie, il n’y a pas de diagnostic ? Que sans diagnostic, il n’y a pas de traitement ? Qu’un radiologue est un médecin, au même titre que n’importe quel autre, avec des années d’études, des astreintes, une exigence de rigueur constante, et une responsabilité médicale immense ? Que la radiologie soigne directement, comme la chirurgie, au travers de la radiologie interventionnelle.

En niant cette évidence, le rapport condamne les politiques de dépistage des cancers du sein, initié par les radiologues, et bientôt du poumon.

En niant cette évidence, le rapport envoie un signal délétère à toute une profession : vous n’êtes plus des soignants, vous êtes des centres de coûts.

 

Innovation à deux vitesses

On veut faire de la France un leader mondial de l’intelligence artificielle. On investit des milliards pour que nos startups répondent plus vite à des prompts ou génèrent des images plus nettes. Mais dans le même temps, on propose que nos patients soient soignés avec des scanners vieux de 14 ans, alors même que leur durée de vie technologique est souvent inférieure à 7 ans.

On change de smartphone tous les deux ans, mais on demande à nos services d’imagerie de travailler avec du matériel obsolète. Où est la logique ? Où est l’ambition ? À quoi bon chercher à innover si l’on accepte, dans le même souffle, d’offrir aux Français une médecine du passé ?

 

Les radiologues, cibles faciles d’une politique à courte vue

C’est une constante des politiques d’économies : on commence par ceux qui ne crient pas trop fort. On vise les spécialités organisées, visibles, qui semblent rentables — à condition de confondre bénéfices et revenus, de nier les coûts d’exploitation, de ne pas regarder les astreintes, les investissements, la formation permanente.

Les radiologues sont devenus, à leur corps défendant, une cible commode. Pourtant, ce sont eux qui permettent de désengorger les urgences, de raccourcir les parcours de soins, de prendre en charge plus tôt les pathologies lourdes. C’est leur expertise qui permet de sauver des vies. C’est leur engagement qui permet encore à notre système de santé de tenir.

 

Ne pas casser ce qui fonctionne

Avec ce rapport, c’est une attaque contre toute la médecine libérale qui se profile. Un pas de plus vers une étatisation rigide, inefficace, déconnectée des réalités de terrain. Un signal inquiétant envoyé à celles et ceux qui tiennent encore debout l’offre de soins dans nos territoires.

Ces propositions sont inacceptables. Elles témoignent d’une profonde méconnaissance de la spécialité et de son rôle crucial dans le parcours de soins. Elles conduiraient à une dégradation massive de l’accès aux soins, au détriment direct des patients.

On prétend réformer, mais on déconstruit. On dit vouloir améliorer l’efficience, mais on sabote ce qui fonctionne. On dit vouloir préserver l’accès aux soins, mais on prend des décisions qui créeront des déserts d’imagerie médicale. À ce rythme, demain, il ne s’agira plus de savoir si vous pouvez passer un scanner à temps, mais s’il reste quelqu’un pour le faire tourner.

Est-ce cela que nous voulons ? Une médecine sans médecins ? Une innovation sans moyens ? Un système de santé qui prend ses décisions à Bercy plutôt qu’au chevet du patient ?

Les radiologues sont prêts à discuter, à proposer, à innover. Mais ils ne resteront pas spectateurs d’une dérive qui menace la qualité des soins, la sécurité des patients, et l’avenir même de leur métier.

(*) Le Dr. Jean-Philippe Masson est médecin radiologue libéral, installé à Carcassonne. Il est président de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues depuis 2020, mandat auquel il a été renouvelé en 2023.

Article publié dans La Tribune le 16 septembre 2025,
cliquer ici pour lire la publication originale