A l’approche de la RSNA, la revue Health Imaging a discuté des tendances mondiales en imagerie médicale, du marché en scanner et IRM avec Bhvita Jani, directrice de recherche chez Signify Research. Le point de vue que nous vous résumons ici, accompagnée de remarques françaises, est bien sûr très américain mais donne un éclairage actuel des tendances sur le marché mondial de l’imagerie en coupes.
Nous sommes bien loin du marché réel en France mais cette tendance arrivera forcément chez nous avec un décalage temporel. A la lecture de cet article, on peut se demander si la France fait vraiment partie de l’Europe occidentale sur le plan de l’Imagerie …
1) Tendances et nouvelles technologies en scanner
Malgré la pandémie de Covid-19, le marché de la tomodensitométrie a connu un essor important, de nombreux hôpitaux ayant acheté des systèmes supplémentaires. Cela était en partie dû à la nécessité de maintenir ou d’augmenter leur capacité d’imagerie pendant la période Covid avec limitation du nombre de patients liée aux procédures de désinfection. De plus, de nombreux hôpitaux, surtout en dehors des États-Unis, utilisent la tomodensitométrie pour diagnostiquer le Covid et suivre l’évolution des patients.
Certains continents ont connu, comme l’Asie et surtout la Chine ainsi que l’Europe occidentale, une hausse de la demande beaucoup plus importante. Mais d’autres pays, comme les États- Unis, disposaient d’une base d’installation suffisante pour faire face à la demande de Covid-19. Il est estimé que le marché de la TDM est passé d’environ 4,1 milliards de dollars en 2019 à 5,1 milliards de dollars en 2020.
La TDM reste une modalité à forte croissance en raison de l’évolution universelle de l’imagerie médicale vers l’imagerie 3D compte-tenu des applications cliniques.
a) Technologie par comptage de photons
La technologie évolue vers le comptage de photons et la tomographie spectrale Le comptage de photons modifie véritablement la donne sur le marché de la tomodensitométrie et va se développer dans les prochaines années. Siemens a commercialisé le premier système en 2021, mais plusieurs autres fournisseurs ont des systèmes en cours de développement qui seront probablement présents sur le marché dans les deux prochaines années.
Actuellement, cette technologie n’est disponible que dans quelques grands centres universitaires. La technologie de TDM par comptage de photons améliore considérablement la qualité de l’image, la caractérisation des tissus et réduit les quantités de produit de contraste et de doses de RX nécessaires. Le comptage de photons permet également de regrouper les photons détectés par différentes énergies kV, ce qui fait que tous ces scanners sont intrinsèquement des scanners spectraux.
Les scanners spectraux (ou à double énergie), existent depuis plus d’une décennie, mais les coûts supplémentaires et les étapes additionnelles du flux de travail n’ont pas favorisé leur adoption à grande échelle. Tous les principaux fournisseurs de tomodensitométrie proposent cette technologie mais celle-ci sera, de fait, intégrée dans les systèmes à comptage de photons.
b) Systèmes à haut débit
Les systèmes conventionnels de tomodensitométrie évoluent vers des systèmes à haut débit aux États-Unis et en Europe.
Il y a un peu plus de dix ans, dans les pays développés, les anciens systèmes de TDM ont été remplacé par des scanners à 64 coupes. Maintenant que ces systèmes atteignent l’âge de remplacement beaucoup d’entre eux sont remplacés par des systèmes à plus grand nombre de coupes offrant une meilleure qualité d’image et des champs de vision plus larges.
« Dans les marchés développés, on assiste à une évolution vers des systèmes à plus grand nombre de coupes, par exemple 128 à 160 coupes. Aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, les systèmes à haut débit, 256 et plus, sont de plus en plus utilisés. »
Les pays qui recherchent des systèmes de 64 coupes de milieu de gamme sont ceux de l’Afrique, la Russie, l’Arabie saoudite, le Vietnam et le Pakistan. Rappelons que c’est encore le coeur du marché actuel en France…
Les marchés en développement tels que l’Inde, la plupart des pays du Moyen-Orient et l’Amérique latine sont toujours à la recherche de TDM à 16 coupes en raison de leur coût plus faible.
Les programmes de dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie contribuent aussi à stimuler la demande de scanners.
c) Adoption de l’intelligence artificielle dans l’imagerie TDM
L’intelligence artificielle (IA) est une autre technologie en plein essor dans diverses applications de tomodensitométrique. Au niveau technique, elle est notamment utilisée pour la programmation intelligente et la proposition de protocoles en fonction du morphotype du patient, l’automatisation des protocoles de tomodensitométrie, le positionnement des patients, une meilleure qualité d’image grâce aux nouveaux types de reconstruction d’image en osseux ou en parties molles avec traitement optimisé du bruit, une réduction des doses de RX et consécutivement de produit de contraste et l’accélération des flux de travail.
Toutes les machines TDM ne sont pas similaires et le logo IA n’assure pas à lui seul une vraie intégration et une vraie efficacité. Les évaluations sur site restent essentielles dans le processus d’achat. L’intelligence artificielle contribue aussi à l’analyse d’image et la quantification automatique mais beaucoup de travaux nécessitent encore des validations solides ce qui reste loin du compte actuellement pour la plupart.
La pénurie des manipulateurs n’est pas que française. Ainsi, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, la radiologie est confrontée partout à de graves pénuries de manipulateurs et de radiologues qualifiés, et cette question a été compliquée par la “grande démission” de l’année dernière en particulier aux Etats-Unis, où de nombreuses personnes ont quitté leur emploi, en grande partie à cause de l’épuisement professionnel pendant la pandémie de Covid.
Les hôpitaux ont donc cherché des moyens de renforcer leur personnel et de lui permettre de travailler plus rapidement et plus intelligemment. Selon Mme Jani, l’IA les aide à atteindre ces objectifs.
d) La technologie CT à cathode froide La technologie CT à cathode froide se profile à l’horizon
L’un des grands problèmes techniques que posent les tubes à rayons X est le faible pourcentage de l’énergie libérée sous forme de rayons X, la majeure partie étant en fait libérée sous forme de chaleur. C’est pourquoi les systèmes d’imagerie à rayons X ont besoin de systèmes de refroidissement, de liquides actifs ou de conceptions de refroidissement radiant passif, comme l’utilisation de matériaux plus lourds qui peuvent résister à la grande quantité de chaleur. Ces systèmes de refroidissement rendent les systèmes plus lourds et plus chers.
Le développement de tubes à rayons X à cathode froide a été proposé comme solution pour réduire considérablement le poids et les matériaux utilisés ce qui permettrait également de réduire considérablement la taille et le coût de ces systèmes, et de les rendre plus faciles à entretenir. Des progrès ont récemment été réalisés dans le domaine des sources froides de rayons X, comme l’utilisation de nanotubes de carbone. Ces sources froides de rayons X pourraient modifier le marché, car elles sont plus légères, plus petites, plus rapides et moins chères que les sources de rayons X traditionnelles.
2) Tendances et nouvelles technologies en IRM
Les principales tendances en matière d’IRM sont les systèmes sans hélium, le compressed sensing et l’intelligence artificielle. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est de plus en plus utilisée en raison de la demande croissante d’une imagerie avancée de meilleure qualité. Le développement de nouvelles technologies (IA, automatisation) facilite son utilisation et réduit la durée des examens.
a) Marché mondial
Le marché de l’IRM devrait connaître une expansion considérable au cours des prochaines années.
Signify s’attend à ce que le marché de l’IRM connaisse un taux de croissance annuel de 47 % par an. Selon elle, cela est dû en partie au report de commandes en raison de la pandémie qui a stoppé de nombreux remplacements de biens d’équipement hospitaliers pendant le Covid. En conséquence, Signify a enregistré un nombre important de ventes de nouveaux systèmes d’IRM en 2021. Mme Jani constate également un développement de l’IRM dans les marchés émergents qui cherchent à élargir l’accès à cette technologie.
Le marché reste concentré sur les systèmes 1,5T et 3T avec transition graduelle vers les systèmes 3T. Les marchés des systèmes d’IRM à très bas champ et à très haut champ, comme le 7 Tesla, connaissent une croissance, mais ces segments de marché sont encore très marginaux à ce jour.
b) Réduction des temps d’acquisition et amélioration des images
L’IRM bénéficie de nombreuses améliorations logicielles.
Le compressed sensing et l’IA rendent les systèmes IRM plus efficaces pouvant réduire les temps d’examen de 50 % ou plus. Ainsi, des IRM cardiaques peuvent être acquises pendant un seul battement.
Comme pour la TDM, l’intelligence artificielle est intégrée aux systèmes d’IRM et aux logiciels de post-traitement. L’IA est utilisée dans diverses applications, qu’il s’agisse d’améliorer la reconstruction de l’image en particulier à partir d’acquisition 3D, de faciliter le déroulement des examens, d’assurer un positionnement correct du patient ou d’applications spécifiques en cardiologie, neurologie et orthopédie pour accélérer le déroulement des examens et automatiser les mesures et la quantification.
Comme pour la TDM, les évaluations sur site par les radiologues et les manipulateurs sont essentielles dans un processus d’achat. L’analyse des dossiers techniques y compris par les ingénieurs biomédicaux ne doit être qu’une partie de la démarche car trop restrictif.
Selon Mme Jani, « L’accent est mis de plus en plus sur le retour sur investissement. Ainsi, comme de plus en plus de décisions sont prises par les décideurs financiers, nous voyons davantage de considération pour le retour complet sur investissement sur la durée de vie totale du système. Si le nombre de patients est plus élevé en raison de l’efficacité accrue des systèmes sans sacrifier la qualité ou les résultats pour les patients, cela peut être un facteur de choix pour un fournisseur ».
C) Les IRM sans hélium
Les systèmes sans hélium présentent trois différences importantes par rapport aux systèmes IRM traditionnels permettant de réduire les coûts d’utilisation et de simplifier l’installation :
- De très faibles quantités d’hélium sont utilisées. Philips affirme que son système sans hélium ne consomme que 7 litres d’hélium, contre 1 500 pour une IRM standard.
- Le système à hélium est complètement scellé, de sorte qu’il n’y a pas d’évaporation de l’hélium au fil du temps. Cela évite les recharges coûteuses du système d’hélium.
- Aucune cheminée n’est nécessaire pour évacuer l’hélium en cas de quench pour ces systèmes scellés à faible teneur en hélium. Cela peut réduire considérablement les coûts d’installation et de systèmes d’urgence et permet aux salles d’IRM d’être situées n’importe où, sans qu’il soit nécessaire de réfléchir à la manière de ventiler le système à l’extérieur du bâtiment.
Ces dernières années, l’approvisionnement mondial en hélium a suscité de vives inquiétudes dans la communauté de l’imagerie médicale.
Les États-Unis fournissent environ 40 % de l’hélium mondial, mais quatre des cinq principaux fournisseurs du pays ont commencé à se rationner, a déclaré Phil Kornbluth, président de Kornbluth Helium Consulting, à NBC News.
Comme pour la plupart des problèmes d’approvisionnement qui ont surgi au cours des trois dernières années, la pandémie a inévitablement laissé des empreintes sur l’approvisionnement et la distribution de l’hélium. À l’instar des fournisseurs (GE) impliqués dans la récente pénurie de produits de contraste iodés, les fournisseurs d’hélium se tournent vers des stratégies d’atténuation qui consistent notamment à donner la priorité aux industries ayant les besoins les plus vitaux, comme les soins de santé.
Ces mesures ne se sont pas encore traduites par l’annulation d’examens d’imagerie, mais elles ont donné des signes d’alerte à la communauté scientifique et de recherche. De nombreux projets de recherche à l’université de Harvard ont été complètement arrêtés en raison de la pénurie, et l’université de Californie, à Davis, a récemment fait savoir que l’un de ses fournisseurs avait réduit de moitié ses allocations, qu’elles soient utilisées à des fins médicales ou non.
La guerre en Ukraine a également eu un impact significatif sur la disponibilité de l’hélium. Jusqu’à récemment, la Russie devait fournir jusqu’à un tiers de l’hélium mondial à partir d’une énorme installation de production en Sibérie, mais un incendie dans l’installation a retardé ce déploiement, et la guerre en Ukraine a encore détérioré les relations commerciales de la Russie avec les États-Unis. Tous ces facteurs se sont combinés pour exacerber les problèmes de la chaîne d’approvisionnement.
Ces problèmes ont suscité l’intérêt des fabricants d’IRM. Au cours des dernières années, lors du RSNA, plusieurs fournisseurs dont Philips ont présenté des systèmes IRM dits “sans hélium”. Ils utilisent toujours de l’hélium comme liquide de refroidissement cryogénique pour les aimants, mais beaucoup moins d’hélium que ce qui est normalement utilisé.
Des entreprises telles que GE Healthcare et Siemens Healthineers sont en train de mettre au point des équipements plus efficaces et nécessitant moins d’hélium. Toutefois, ces technologies ne sont pas encore largement disponibles. Les systèmes disponibles coûtent plus cher à l’achat que les systèmes traditionnels, ce qui limite leur diffusion.
Cela est particulièrement vrai dans les pays en développement, où les coûts d’achat sont un facteur essentiel. Signify s’attend à ce que ces systèmes soient largement adoptés dans les établissements de soins ambulatoires des pays développés.
Mais pour Mme Jani, les systèmes sans hélium ne devraient pas bouleverser le marché de manière significative avant que les coûts ne baissent de manière substantielle. Les systèmes sans hélium sont un objectif à long terme.
d) Nouveaux fournisseurs sur le marché de l’IRM
Samsung (Corée du sud) et United Imaging (République populaire de Chine) sont deux fournisseurs qui essayent de gagner des parts de marché dans les marchés d’IRM. Ces dernières années, avant la pandémie, ces deux sociétés ont tenu de très grands stands au RSNA pour attirer de nouveaux clients. Elles ont toutes deux présenté des systèmes dotés de caractéristiques paraissant comparables à celles des fournisseurs d’IRM habituels.
« United Imaging est de plus en plus une menace pour certains des fournisseurs les plus établis, mais l’impact en dehors de la Chine est encore assez limité. Ceci est dû au fait que lors de l’achat de systèmes d’IRM sur les marchés développés, la fidélité à la marque est encore assez forte », a déclaré Mme Jani.
Signify Research estime que la part de marché de United Imaging en Asie est d’environ 8 % et que sa part de marché globale est d’environ 4 %. Siemens, GE, Philips et Canon restent donc les leaders du marché.
3) Impact de la pandémie de Covid et de la guerre en Ukraine
L’impact est loin d’être terminé. Pénurie de produits de contraste chez GE en raison de la fermeture totale puis partielle de l’usine chinoise ayant conduit les sociétés savantes américaines à revoir les approvisionnements et l’utilisation efficace (Pertinence !!!) des produits de contraste iodés mais aussi gadolinés. Hausse considérable du cout du gramme d’iode. Tension sur l’approvisionnement en gadolinium essentiellement d’origine chinoise.
Pénurie de composants entrainant des délais très importants de livraisons des matériels (scanner et IRM notamment) et des pièces détachées, illustrés par exemple par la chute de 25% du CA d’Hologic ou l’alerte de Philips sur le délai pour certaines antennes IRM. Au total, l’analyse du marché mondial montre l’impact de la pandémie Covid et de la guerre en Ukraine et surtout l’importante distorsion avec le marché réel en France qu’il s’agisse des TDM ou des IRM. Les améliorations technologiques vont de pair avec l’efficience. Il serait bon que les décideurs politiques s’en souviennent ou en prennent conscience.
Cet article a été publié dans la revue Le Médecin Radiologue Libéral # 462 Janvier 2023.