Dr Éric GUILLEMOT
Dr Éric GUILLEMOTRadiologue libéral à Fréjus et Vice-Président de la FNMR

Le nombre de manipulateurs en électroradiologie médicale ne permet pas d’accompagner les ouvertures des nouveaux équipements radiologiques autorisés. Leur disponibilité sera pourtant une condition sine qua non pour assurer le développement radiologique et préserver l’accès aux soins des patients. Appuyée par les radiologues, la création d’une nouvelle école y contribuera directement. explications.

Quel regard portez-vous sur la profession de manipulateur en électroradiologie médicale ?

Eric Guillemot : ce sont des collaborateurs indispensables au bon exercice de notre profession. Ils assument des responsabilités importantes dans toutes les facettes de notre activité, que ce soit la radiologie diagnostique ou interventionnelle. Ils sont omniprésents, tout au long du parcours de soins radiologiques. Ce sont aussi des interlocuteurs directs pour les patients. A la demande du médecin correspondant, le radiologue prescrit le bon examen, au bon patient, au bon moment, et il échange régulièrement avec son manipulateur qui applique la décision médicale, non sans apporter sa contribution pour garantir le bon déroulement de l’examen et la clarté des clichés. Autonomes et compétents, ce sont des partenaires de confiance.

Jean-Michel Bartoli : le radiologue et le manipulateur fonctionnent en binôme dans le seul intérêt des patients. Ils entretiennent des liens permanents pour assurer une prise en soins radiologiques de qualité, la plus personnalisée possible. Caractéristique notable : les radiologues participent activement à la formation des manipulateurs, dont la montée en compétences sera primordiale, ne serait-ce que pour relever le défi des nouvelles techniques et des nouveaux équipements radiologiques. Aucun cabinet ni aucun service de radiologie ne peut fonctionner sans un radiologue, mais notre mission deviendrait pratiquement impossible si nous n’avions plus de manipulateurs pour accueillir, encadrer et accompagner les patients.

Quelles sont les grandes priorités stratégiques, notamment sur le plan démographique et organisationnel ?

Eric Guillemot : le renouvellement générationnel doit être considéré comme une priorité politique. Universitaires en tête, la profession se démène pour augmenter le nombre d’internes en radiologie, par tous les moyens possibles. Diagnostic, prévention, suivi, traitement… Notre spécialité est positionnée aux interfaces critiques des parcours de soins. Son attractivité n’est plus à démontrer, mais nous peinons pourtant à compenser les nombreux départs en retraite. Nous sommes l’une des premières disciplines concernées par la crise de la démographie médicale. Il y a urgence !

Jean-Michel Bartoli : la radiologie est menacée par une grave crise démographique qui pourrait fragiliser les grands équilibres de notre système de santé. Du prénatal au post-mortem, les radiologues sont présents dans la quasi-totalité des parcours de soins, de jour comme de nuit, en ville comme à l’hôpital. La situation n’est pas simple. Les perspectives non plus. L’augmentation et le vieillissement de la population française vont accroître la demande de soins, et les récentes avancées techniques et technologiques vont générer de nouveaux besoins, notamment en matière de ressources humaines qualifiées. Moins de trois cents internes sont formés chaque année. Ce n’est clairement pas assez ! Les trois-quarts des départs en retraite ne seront pas compensés au cours des cinq prochaines années …

Quid des manipulateurs en électroradiologie médicale ?

Jean-Michel Bartoli : la problématique est quasiment identique. Le nombre de manipulateurs en formation ne permet pas de couvrir tous les besoins dans les structures radiologiques, quel que soit leur mode d’exercice. Par rapport aux autres professions paramédicales, les effectifs disponibles sont très insuffisants (voir encadré). Nous sommes à la croisée des chemins. La réforme du régime des autorisations et les nouveaux projets régionaux de santé vont se traduire par une hausse significative du nombre de scanners et d’IRM. Les radiologues devront pouvoir compter sur des personnels aguerris pour faire fonctionner les nouveaux équipements installés. Sans manipulateurs en nombre suffisant, nous ne serons pas capables de relever ce défi.

Eric Guillemot : les diplômes de médecine autorisent une libre circulation en Europe. Ce n’est pas le cas pour les manipulateurs. Les deux diplômes nationaux leur permettent de travailler en radiologie, en radiothérapie ou en médecine nucléaire, mais les diplômes européens ne sont pas reconnus en France… en l’absence de cette triple formation. Les manipulateurs français peuvent aisément partir travailler à l’étranger, par exemple en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse, mais l’inverse n’est pas vrai. Cette situation peut donc occasionner une fuite des effectifs formés. Une action doit être envisagée pour palier l’asymétrie de reconnaissance des diplômes et donc de circulation des manipulateurs en Europe, délétère pour nos besoins. Il faudra aussi former et fidéliser de nouvelles recrues pour garantir le développement radiologique et préserver l’accès aux soins des patients.

Quels sont les grands enjeux en matière de formation ?

Jean-Michel Bartoli : il faut impérativement augmenter les quotas de formation dans les écoles existantes, ce qui supposera de recruter de nouveaux cadres-enseignants et de réaménager les locaux, mais aussi de créer de nouveaux établissements, en particulier dans les territoires non couverts. Ces évolutions réclament des autorisations et des financements supplémentaires de la part des tutelles, que ce soit pour le DE de manipulateur d’électroradiologie médicale ou le DTS imagerie médicale et radiologie thérapeutique, qui sont respectivement pilotés par le ministère de la Santé et l’Education nationale. Mentorat, tutorat, cordées de la réussite, apprentissage, allocations d’études… Tous les leviers devront être actionnés pour renforcer et faciliter les voies d’accès au métier de MERM.

Eric Guillemot : il faudra former plus de manipulateurs, ne serait-ce que pour anticiper les développements en cours dans la radiologie diagnostique et la radiologie interventionnelle, qui nécessiteront des moyens humains renforcés et des compétences techniques accrues, tant du côté des radiologues que des manipulateurs. Toutes les composantes du Conseil National Professionnel de radiologie sont mobilisées pour sensibiliser et convaincre les pouvoirs publics et les instituts de formation. Malgré son utilité, le métier de manipulateur est méconnu, notamment par les jeunes générations. Les cursus de formation devront être plus visibles et mieux explicités dans les lycées, mais aussi sur Parcoursup …

Vous avez activement participé à la création d’une école de manipulateurs en électroradiologie, implantée à Toulon. Pour quelles raisons ?

Jean-Michel Bartoli : Eric Guillemot, Pierre Champsaur et moi-même avons mené une action spécifique, au nom du G42 Provence-Alpes- Côte-d’Azur, pour obtenir des autorisations supplémentaires de matériel lourd. Approuvée par l’Agence Régionale de Santé (ARS), cette requête nous a permis d’installer de nombreux équipements (IRM et scanners), notamment dans le Var, où les besoins étaient importants. Directement confrontés au manque de manipulateurs pour faire fonctionner efficacement ces nouvelles machines, mais aussi celles qui viendront ultérieurement, nous avons eu l’idée de créer une école ex nihilo. Nous avons choisi la ville de Toulon, qui est une agglomération très dynamique en termes de formation aux professions de santé, pour implanter un nouvel IFMEM. Outre Marseille et Nice, les étudiants de la Région Sud auront donc une troisième option.

Quelles ont été les grandes étapes du processus de création de cette école de formation ?

Jean-Michel Bartoli : la tâche s’annonçait complexe, mais nous avons obtenu des appuis essentiels pour aiguiller nos démarches, notamment sur les aspects administratifs, financiers et logistiques. Rien n’aurait été possible sans le soutien inconditionnel de Josy Chambon, directrice de l’Institut de formation public varois des professions de santé (IFPVPS), qui a accepté de porter ce projet auprès des tutelles et qui nous a accueilli dans ses locaux. Nous avons également bénéficié du soutien du Dr Sylvie Chevallier-Van Lede, responsable du Comité Régional de Radiologie au sein de l’ARS PACA. Il nous aura fallu moins de huit mois pour obtenir les autorisations puis les financements nécessaires auprès de la Région Sud, très sensibilisée à la formation en santé, mais aussi pour signer une convention avec l’Université d’Aix-Marseille, recruter un directeur et deux cadres-enseignants compétents, valider notre référencement sur la plate-forme Parcoursup et informer les lycéens de la région varoise. Composée de quarante élèves, la première promotion a débuté son cursus en septembre 2022. Initialement hébergée par l’IFPVPS, elle s’est installée dans ses propres locaux, implantés en plein centre-ville de Toulon, le 3 mars dernier. Date à laquelle notre nouveau bâtiment a été inauguré. Aux côtés d’Eric Ciurnelli, j’assure la fonction de conseiller médical.

Eric Guillemot : cette initiative est une franche réussite qui en appelle d’autres. Elle montre le chemin à suivre pour atteindre un objectif salvateur qui sert les intérêts de nos deux professions, mais aussi et surtout ceux de la population du territoire qui sera mieux prise en charge et mieux soignée. Les pouvoirs publics – la Région Sud, bien sûr, mais aussi la mairie, l’université et l’ARS – ont compris les enjeux, et l’IFPVPS a été d’une efficacité et d’une réactivité exemplaires. Il faut maintenant poursuivre sur cette voie, tant les besoins sont immenses. Le plus dur commence …

C’est-à-dire ?

Jean-Michel Bartoli : nous aurons besoin de terrains et de maîtres de stage en quantité suffisante pour accueillir nos étudiants pendant leur cursus de trois ans. Dans le public comme dans le privé, les radiologues et les cadres et manipulateurs référents devront se mobiliser et libérer du temps pour les encadrer, que ce soit dans les services, les unités de soins ou les cabinets de radiologie. Sur cette première année d’exercice, la mobilisation a été exemplaire et nos collègues de radiothérapie et de médecine nucléaire ont accompagné cette dynamique. Valorisant, intéressant et utile, ce compagnonnage profitera aux apprentis et aux soignants, mais aussi aux patients. Autre enjeu majeur : nous devrons également recruter de nouveaux cadres-enseignants pour assurer la formation des futures générations d’étudiants MERM, y compris par le biais de l’apprentissage. Dans deux ans, il faudra gérer cent vingt étudiants sur trois ans, ce qui ne sera pas chose aisée.

Eric Guillemot : la formation initiale ne fera pas tout. Les différentes parties prenantes devront favoriser la montée en compétences des manipulateurs, notamment via la formation continue, pour améliorer la qualité et la sécurité du service rendu aux patients qui viennent nous voir.

Quelles sont vos ambitions à moyen terme ? La création d’une nouvelle école est-elle envisagée ?

Jean-Michel Bartoli : nous allons, dans un premier temps, nous concentrer sur la formation de nos étudiants. Nous verrons, ensuite, si nous sommes capables de prendre en charge davantage d’élèves. D’autres sujets sont en réflexion. Nous n’excluons pas de créer une seconde école… à Avignon. Il nous faudra d’abord contractualiser avec le centre hospitalier et trouver un institut de formation partenaire, avant de plaider notre cause devant l’Agence régionale de santé et le Conseil régional, comme nous venons de le faire à Toulon. Nous aurons également besoin du soutien des radiologues et des manipulateurs implantés dans ce territoire en tension. Si toutes les conditions sont réunies, cet ambitieux projet pourrait se concrétiser en septembre 2024.

Comment convaincre les lycéens de choisir cette filière ?

Jean-Michel Bartoli : la fonction de manipulateur présente de nombreux atouts pour les lycéens qui choisiraient cette orientation professionnelle associant soins et technicité. Radiologie, médecine nucléaire, radiothérapie… Ils auront la possibilité de travailler dans trois spécialités médicales très innovantes, selon leurs envies, mais aussi d’évoluer dans des environnements de travail très différents, en fonction de leurs aspirations. Peu de métiers offrent actuellement cette souplesse et cette flexibilité. Autre argument de taille : le taux de chômage est nul dans cette profession. Ils ne doivent plus hésiter car, si ce métier est peu connu des lycéens, il est très reconnu par les patients, les radiologues et tous les professionnels de santé.

Eric Guillemot : le métier de manipulateur est passionnant. Il se caractérise par la richesse et la diversité des cas proposés, mais aussi par des interactions humaines fortes, aussi bien avec les radiologues que les patients. L’argument financier n’est pas négligeable : ce métier est plutôt bien rémunéré par rapport au niveau d’étude exigé, soit trois ans… au minimum. Ceux qui le souhaitent ont également la possibilité de prolonger leur cursus et d’atteindre le grade de master ou de doctorat, obtenant ainsi davantage de responsabilités.

Propos recueillis par Jonathan ICART

MERM : Les chiffres-clés

  • Nombre de manipulateurs en électroradiologie médicale en France : 31 298 (*)

  • Age moyen : 41 ans

  • Taux de féminisation de la profession : 74 %

  • Répartition des modes d’exercice : salariés hospitaliers (81 %) libéraux ou mixtes (0 %) autres salariés (19 %)

(*) Dans un rapport thématique publié en mars 2021, l’Inspection générale des affaires sociales avançait un autre chiffre, compris entre 27 000 et 28 000. « Leur nombre exact est mal connu et surestimé par la statistique publique », écrivaient ses auteurs.

Cet article a été publié dans la Revue Le Médecin Radiologue Libéral #464 – Mars 2023