En pleine crise sanitaire, les questions de santé sont quasi absentes de la loi dite 4D – différenciation, décentralisation, déconcentration, décomplexification – présentée le 12 mai dernier en Conseil des Ministres. Elles le sont également de la campagne des élections régionales et départementales.
L’Institut Santé – centre de recherche indépendant et apolitique dédié à la refonte de notre système de santé – propose un programme de décentralisation de la santé, qui apparait de plus en plus comme incontournable dans un modèle de santé adapté aux nouveaux défis sanitaires.
L’ardente nécessité de territorialiser la santé
La crise de la Covid19 a mis en évidence l’incapacité de l’Etat sanitaire à anticiper les évènements et à prendre les bonnes décisions dans le bon espace de temps. Cela s’est vu aussi bien pour les masques, les tests, le traçage des cas contacts que pour les vaccins. La solution passe par une réforme interne de l’Etat pour le rendre plus efficient mais aussi par une redéfinition des périmètres de l’Etat en santé visant à le renforcer dans ses missions exclusives et à déléguer certaines compétences à d’autres instances dont les collectivités territoriales.
Outre la gestion des crises sanitaires, le nouveau modèle de santé doit prendre en compte la santé globale des individus, dont le soin ne représente que 20% de celle-ci. On sait aujourd’hui que 40% de l’état de santé dépend des déterminants économiques et sociaux, 30% des comportements individuels et 10% de l’environnement physique. L’approche essentiellement curative a fait de la France un des pays au plus haut niveau d’inégalités sociales parmi les pays comparables. Un ouvrier en France a la double peine de vivre moins longtemps (6 ans de moins) et en moins bonne santé qu’un cadre (13% de moins de temps de vie sans incapacité). Ce triple gâchis humain, social et économique s’est aggravé depuis 40 ans.
Fonder le nouveau modèle sur la santé globale et non plus uniquement sur le soin revient à donner une place importante au maintien en bonne santé des individus et à une approche populationnelle. Cela impose de partir des besoins de santé et non plus de l’offre de santé. Cela impose également de finaliser la territorialisation de la santé initiée dans les textes mais en régression dans les faits, en raison de l’étatisation à marche forcée du système, qui a atteint son paroxysme en 2021.
Cette territorialisation à partir de bassins de vie sanitaires regroupant 150 000 personnes en moyenne se substituera aux multiples découpages territoriaux spécifiques à chaque secteur (GHT, CPTS…), illisibles pour les citoyens et revenant à une usine à gaz bureaucratique pour les professionnels de santé. L’instauration d’un seul territoire de santé pour tous, doté de missions de santé publique et de soins clairement définis et dans lequel un service public territorial de santé sera assuré par l’ensemble des acteurs publics et privés s’impose comme une ardente nécessité.
La responsabilité professionnelle des soignants et la liberté de choix des usagers seront des valeurs cardinales renforcées dans le nouveau modèle. Les collectivités locales (communes, métropoles) seront largement associées à cet espace de concertation et de pilotage de la santé. Ce territoire de santé, qui représentera une simplification administrative majeure, assurera une offre de santé adaptée aux besoins de la population et fera vivre une démocratie sanitaire et sociale éclairée.
Départements : des collectivités de proximité pour le maintien en bonne santé à tout âge
La politique de décentralisation des années 80 a amorcé un transfert de compétences aux départements dans la prévention et la promotion de la santé pour la petite enfance et les personnes âgées. L’Institut Santé recommande d’étendre cette compétence sanitaire du département à l’ensemble des classes d’âge pour en faire le pivot du maintien en bonne santé. Couplés à ses compétences sociales, cette évolution sera un levier essentiel à la réduction des inégalités sociales de santé.
Dans la continuité de la protection maternelle et infantile, la santé scolaire et la santé universitaire seront confiées aux départements. Les mauvais indicateurs sanitaires en milieu scolaire et la perte d’attractivité de la médecine scolaire montrent l’échec du pilotage par l’Education nationale. Dans l’intérêt de la santé des enfants et des jeunes et dans la cohérence du pilotage de la prévention en santé, il faut aller au bout de la logique de décentralisation initiée en 1983 avec la PMI.
Un pilotage départemental sera aussi installé pour les services de santé au travail, dans le respect de l’indépendance des opérateurs. Ceci accompagnera une extension du champ d’intervention de la santé au travail aux chefs d’entreprise, autoentrepreneurs, indépendants, salariés de la fonction publique et demandeurs d’emploi. En étroite association avec les Communes, les départements seront aussi l’opérateur principal de la santé environnementale.
Outre ces missions de prévention sanitaire, le département restera le chef de file du social et deviendra aussi le chef de file du médico-social, pour les agréments des structures et l’orientation des usagers. En tant que collectivités de proximité, les départements seront plus performants pour développer l’axe domiciliaire qui doit dominer la politique du grand âge avec l’axe du bien vieillir.
Régions : des collectivités stratèges et d’investissement en santé
L’Etat a montré toutes ses limites dans le pilotage de la formation et de la démographie médicale. La fin du numérus clausus ne donne qu’un rôle consultatif aux régions. Nous suggérons d’aller là aussi au terme de la décentralisation initiée en 2004 pour les formations paramédicales en transférant aux régions la compétence de la formation médicale et de la gestion de la démographie médicale.
L’incapacité de l’Etat à moderniser et à dynamiser le parc hospitalier français, malgré des investissements conséquents, impose de donner aux régions un rôle accru dans la gestion hospitalière. Au cœur du développement économique et de l’équipement des territoires en innovations technologiques, les régions gèreront les équipements lourds hospitaliers et participeront activement avec l’Etat à l’évolution du parc hospitalier dans le futur modèle de santé.
La présence du Conseil Régional aux postes clés des conseils d’administration (qui remplaceront les conseils de surveillance) des hôpitaux publics et des agences régionales de santé (dont la mission sera centrée sur la santé publique) permettra de régionaliser à la fois la gestion des investissements lourds, la mise en réseau régional du parc hospitalier et la stratégie opérationnelle de santé publique.
Ce vaste mouvement de décentralisation vers les collectivités territoriales est un big bang institutionnel qui ne peut réussir qu’à trois conditions.
D’abord, réussir la transformation de l’Etat sanitaire en un Etat stratège, qui définira une stratégie nationale solide en santé, des objectifs mesurables et un financement adéquat d’une part, et en un Etat régulateur, garant du principe constitutionnel de l’égalité d’accès à des services de santé de qualité pour tous, quel que soit le territoire d’autre part.
Ensuite un transfert intégral aux collectivités territoriales des budgets existants des missions. Si la décentralisation doit conduire à un meilleur usage de l’argent public, elle ne doit pas être considérée à court terme comme une source d’économie.
Enfin, laisser de la liberté aux collectivités territoriales pour proposer des solutions différentes liées à des spécificités territoriales, avec une évaluation a posteriori pour décider de leur pérennité.
Cette décentralisation s’inscrit dans un programme global de refondation de notre système de santé, que l’Institut Santé présentera in extenso à la rentrée 2021.
Si la loi 4D et les élections de Juin 2021 seront deux occasions manquées pour cette refondation, il ne peut en être de même pour la campagne présidentielle qui leur succédera !
Tribune publiée dans Le Point le 20 mai 2021
Catherine Audard, Philosophe, London School of Economics, spécialiste des questions de justice sociale
Jean-Marc Ayoubi, Chef de service de gynécologie-Obstétrique hôpital Foch, Professeur à la faculté de médecine de l’UVSQ
Perle Bagot, Directrice associée au Hub Institute (nouvelles technologies)
Giancarlo Baillet, Directeur chez Centre de gériatrie Beauséjour
Jacques Battistoni, Médecin généraliste, Président de MG France
Sophie Beaupère, Déléguée Générale d’Unicancer
Evelyne Bersier, Docteur en droit de la santé, Membre de la chaire Education santé de l’UNESCO
Frédéric Bizard, Professeur d’économie, ESCP, Président fondateur de L’Institut Santé
François Blanchecotte, Médecin biologiste, Président du CNPS, Vice-Président de l’UNPS
Pierre-Henri Bréchat, Médecin spécialiste en Santé Publique et en Médecine Sociale
Eric Campion, Chirurgien-dentiste
Annabelle Champagne, Pharmacienne, Dirigeante Wi Pharma
Alain Coulomb, ancien directeur de la Haute Autorité de santé
Philippe Cuq, Chirurgien, Co-Président de Avenir Spé- Le Bloc
Arnaud Danse, Directeur d’Ophtalmo.TV
Alain Deloche, Professeur de chirurgie, co-fondateur de « Médecins du monde », fondateur de « La Chaîne de l’espoir »
Philippe Denoyelle, Chirurgien-dentiste, Président d’Union dentaire
Florence de Rohan-Chabot, Psychiatre, Praticien Hospitalier
René Frydman, Gynécologue-Obstétricien, Professeur des Universités
Christelle Galvez, Directrice des soins, Centre Léon Bérard à Lyon
Benoit Godiart, Enseignant agrégé en sciences médico-sociales, Université Savoie Mont-Blanc
Olivier Goeau-Brissonnière, Chef de service, APHP, Président des Fédérations des spécialités médicales
David Gruson, Directeur Programme Sante Jouve, Fondateur ETHIK-IA
Michel Guilbeau, Associé fondateur de BG Group
Jean-Paul Hamon, Médecin Généraliste, Président d’honneur de la Fédération des médecins de France
Jean-Luc Harousseau, médecin hématologue, Ancien Président de la Haute Autorité de Santé
Richard Hasselmann, Président de Libr’acteurs, Administrateur de l’Institut Santé
Hubert Johanet, Chirurgien, Secrétaire Général de l’Académie Nationale de Chirurgie
Nathalie Kerjean-Pons, Pharmacien Hospitalier, chef de service AP-HP ; Administratrice de l’Institut Santé
Gérald Kierzek, Médecin urgentiste, APHP
Laurent Lantiéri, Chirurgien Plasticien, APHP, Professeur à l’Université Paris Descartes
Marina Lovka, Consultante experte en optique ophtalmique
Philippe Marre, Chirurgien, Président de l’Académie Nationale de Chirurgie
Jean-Philippe Masson, Radiologue, Président de la Fédération Nationale des médecins radiologues
Jérôme Marty, Médecin généraliste, Président du syndicat Union Française pour une médecine libre
Nada Nadif, Consultante en management de la santé
Patrick Négaret, Ancien Directeur général de la CPAM des Yvelines
Jean-Paul Ortiz, Médecin, Président de la Confédération des syndicats médicaux de France
Patricia Paterlini-Bréchot, Professeure de biologie cellulaire et d’oncologie à la faculté de médecine Necker-Enfants Malades
Patrick Pelloux, Médecin urgentiste, APHP, Président de l’Association des médecins urgentistes de France
Maxence Pithon, Médecin généraliste, ancien Président de l’Isnar-Img
Christophe Prudhomme, Médecin urgentiste, APHP, Porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France
Marie-José Renaudie, Gynécologue, présidente du syndicat des gynécologues médicaux
Michael Riahi, Médecin Généraliste, Vice-Président les Généralistes- CSMF
Olivier Saint-Lary, Médecin généraliste, Professeur des Universités, Président du Collège National des Généralistes enseignants
Philippe Sansonetti, Professeur au Collège de France, Chercheur à l’Institut Pasteur et à l’INSERM
Jean Sibilia, Professeur des Universités, Ancien Président de la conférence des doyens des facultés de médecine
Ghislaine Sicre, Infirmière, Présidente de Convergence infirmière
Patrick Solera, Chirurgien-Dentiste, Président de la Fédération des syndicats dentaires libéraux
Jean-Paul Thonier, Expert en santé au travail
Michel Tsimaratos, Professeur de médecine, Chef de service, APHM
Philippe Vermesch, Médecin, Médecin, Président du Syndicat des médecins libéraux